L'ordre et la morale

Ah, ça en a alimenté des conversations sur l'île!…
Entre imbroglios, rebondissements et coups de pub, je vous résume les quatre péripéties principales en forme d'analepses (ou "flash-back" puisque je vais parler d'une œuvre cinématographique):
- Au mois d'août 2010, après de nombreuses polémiques et tensions en Nouvelle-Calédonie, le tournage du film prévu sur les lieux où se sont déroulés les faits, se déplace en Polynésie française.
- Au mois de décembre 2011, après plusieurs jours de feuilleton digne des Mystères de Paris, le seul exploitant de salles de cinéma de Nouméa choisit de ne pas programmer le film, le jugeant "trop polémique et très caricatural". Pierre Frogier, sénateur de Nouvelle-Calédonie, le juge "malvenu" et "subjectif".
Seuls le Centre Tjibaou et les cinémas de Bourail, La Foa et Koné le diffuseront (et feront salle comble à chaque projection).
- Avant même sa sortie en novembre 2011, le film suscite de très vives réactions. Dans un entretien à l’AFP, le général Vidal, commandant des forces armées qui donnèrent l’assaut dans la grotte, conteste cette version des faits, accusant le capitaine Legorjus de "mensonge", "d’affabulation" et de réécrire "l’histoire à sa gloire".
- Quelques mois après sa sortie, le réalisateur Matthieu Kassovitz, mécontent de n'avoir qu'une seule nomination aux césars, écrit poétiquement sur twitter: "J'encule le cinéma français. Allez vous faire baiser avec vos films de merde".

Autant dire qu'après un tel tohu-bohu médiatique, j'étais assez curieuse de voir le film, même si je nourrissais des préjugés à son égard dans la mesure où je ne suis pas une fan du réalisateur.
Bon, mais que raconte-t-il, ce film?
Il reconstitue la prise d'otage de gendarmes, par des indépendantistes, le 22 avril 1988, sur l'île d'Ouvea. Un acte destiné à faire pression sur le gouvernement français au moment de la présidentielle et protester contre le statut Pons.
L'Etat français réplique avec les grands moyens et fait appel à l'armée: 300 militaires sont envoyés. Le 6 mai, les forces de l'ordre donnent l'assaut. Les otages sont libérés mais au prix d'un bain de sang: 21 morts, 19 Kanak indépendantistes et 2 militaires.
Le sujet est politique et le film accuse, prend position en dénonçant l'armée dans ses méthodes, le néocolonialisme, les rivalités fatales entre hauts gradés et les intérêts électoralistes. Tout cela est louable.
Sauf que le film est digne d'un téléfilm. Et que le réalisateur, pourtant admirateur des cinéastes américains, n'a pas leur brio pour mener l'action. Plutôt gênant pour un film dit d'action justement... A cela s'ajoutent d'autres défauts. Les personnages manquent de consistance, les acteurs non professionnels jouent affreusement mal (leur jeu sonne faux), les dialogues sont pédagogiques et plaqués, les rôles sont caricaturaux et manichéens (le GIGN, mené par M. Kassovitz alias le capitaine Legorjus est ouvert au dialogue, le chef Kanak naïf et doux, l'armée inflexible, obtuse et violente), le procédé narratif est plat (un coup de tambour marque chaque jour qu'il reste vers le drame), le suspense inexistant (on attend ennuyé que les jours s'égrainent et qu'arrive enfin l'assaut final).
En bref, la MORALE lutte pour triompher mais le valeureux capitaine, sur le point de réussir les délicats pourparlers, doit trahir sa parole donnée à Alphonse et l'ORDRE tragique va l'emporter.
Pour la suite de l'(H)histoire, le 26 juin 1988, les accords de Matignon sont signés par Michel Rocard, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou. La poignée de main entre les deux chefs des camps antagonistes devient alors le symbole de la paix retrouvée. Mais un an plus tard, le 5 mai 1989, le leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou et son bras droit Yeiwéné Yeiwéné sont assassinés à Ouvea par un Kanak qui leur reproche d'avoir choisi la voie de la négociation.
Bon allez, c'est assez long comme ça et je ne suis pas spécialiste de la question (ni d'aucune autre d'ailleurs). Si vous voulez en savoir plus sur la loi Pons, sur la tragédie d'Ouvéa et surtout sur la suite des événements politiques depuis la fin des années 80, ne vous privez pas d'interroger votre moteur de recherche préféré.. Pour ma part je vais changer de continent et me plonger dans un tout autre sujet: Limonov, d'Emmanuel Carrère. Avec les élections russes, c'est d'actualité.

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